Alors qu’à l’aube givrée, les petits enfants découvrent les présents de Saint-Nicolas, ce soir à BOZAR ce sont les grands qui sont gâtés. Le Concert d’Astrée, ensemble baroque fondé il y a 16 ans, mené par sa cheffe et créatrice Emmanuelle Haïm, se produit aux côtés de la mezzo-soprano tchèque Magdalena Kožená.
L’orchestre nous mène directement au cœur du sujet avec des extraits adaptés d’Hippolyte et Aricie. Emmanuelle Haïm dirige avec de petits gestes très précis, pleins de tenue et de rigueur. Dans les mesures plus passionnées elle fait un large mouvement de son bras en couronne. De ses doigts repliés, elle semble appeler les musiciens à beaucoup de légèreté dans les levées ce qui permet des appuis marqués mais de façon très gracieuse. L’effectif est resserré, l’ensemble possède un chœur mais il se produit ici simplement avec les instrumentistes ce qui fournit une écoute différente des sections habituellement chorales. Les musiciens évoluent avec cohésion et souplesse et nous permettent de vivre littéralement cette basse fondamentale chère à Jean-Philippe Rameau qui soude, de façon invisible, les musiciens.
Après une ouverture brillante, Magdalena Kožená fait son entrée, éthérée comme une naïade dans sa robe moirée. Elle entonne l’air de Diane, issu du livret de Simon-Joseph Pellegrin, dont l’assurance paisible est trompeuse quand on connaît l’issue du récit. Le traverso prolonge délicatement les accents la mezzo-soprano. L’orchestre cisèle deux danses et Magdalena Kožená revient sur scène pour interpréter une Phèdre complexe et poignante.
Avant l’entracte, nous sommes happés par un air de Télaïre, « Triste Apprêts », extrait de Castor et Pollux d’une beauté déchirante, délicatement modulé, dont la mélancolie est rehaussée par le pupitre des vents. Pour la suite de Médée de Marc-Antoine Charpentier, la mezzo-soprano est restée sur scène depuis l’ouverture. Un choix plus judicieux car elle semble ainsi accumuler les tensions d’un orchestre ô combien expressif pour composer une Médée terrible, intransigeante. L’orchestre la rejoint dans ses inflexions les plus ténébreuses lorsque, résolue à l’infanticide, elle convoque les Erinyes puis le Dieu du Cocyte. Ses notes les plus graves sont un peu escamotées, mais sa musicalité et sa sensibilité prennent le relais, aidée en cela par de beaux aigus, une diction travaillée et une personnalité pleine d’éclat. C’est aux moments où les notes tenues enflent de la plus belle manière baroque, et que la chanteuse semble nous quitter, toute à son rôle, qu’elle semble puiser en elle-même toute la richesse des émotions et des nuances. Parfois, au plus fort de la noirceur, Magdalena Kožená semble, espiègle, comme en clin d’œil contrefaire l’une de ces mines de tragi-comédie rappelant les faces cérusées de l’Ancien Régime. Les bien aimées Indes Galantes viennent clore le programme. Quel relief dans l’air d’Emilie, « Fuyez, fuyez, vents orageux » !
Ce ne sont pas moins de trois bis qui suivent : l’air des matelots de l’Alcyone de Marin Marais, suivi d’un extrait d’Ariodante de Haendel et enfin, était-ce nous replonger dans la querelle des Bouffons, « Sì dolce è il tormento » de Monteverdi. Magdalena Kožená rayonne, sa voix pleine est soutenue par la contrebasse, quelques phrases du premier violon, renvoyées au violoncelle et Emmanuelle Haïm elle-même au clavecin.
Ainsi des ouvertures claironnantes au madrigal montéverdien, en passant par les plus émouvants accents de Rameau, rien ne semble hors d’atteinte du Concert d’Astrée. Et, si l’on ne craignait un abus historique, nous clôturerions par une autre évocation du Grand Siècle : « Quo non ascende-n-t ». ?
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